Laissez-vous réconcilier avec Dieu : c’est l’invitation de saint Paul au début de ce carême. Et il justifie son invitation par ces mots que nous avons sans doute de la peine à comprendre :
« Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu ».
Dieu aurait-il besoin de victime pour nous pardonner ? Et pourquoi faire porter à un innocent la charge de nos fautes ? Mais essayons de comprendre. Paul s’exprime en raccourcis :
Dieu n’a pas besoin de victime, mais nos péchés ont produit des dégâts ! Dieu ne l’ignore pas ; ce n’est pas Lui qui l’a voulu, mais « il faut faire-avec » comme on dit. Or, comment faire-avec ? Sinon prendre en charge cette situation dégradée pour y faire naître la vie, le bien, « la justice », comme dit saint Paul.
C’est ce que notre Dieu a fait quand le Christ Jésus, son Fils, l’Innocent, a pris sur lui notre condition humaine avec toute sa déchéance et a mis à profit en quelque sorte cette situation pour y exprimer son amour pour Dieu, sa fraternité avec nous, et, de là, rayonner son Esprit sur nous.
Prenons une comparaison : Quand Maximilien Kolbe se propose aux nazis d’Auschwitz pour prendre la place d’un père de famille qu’ils viennent de condamner à mourir de faim pendant 10 jours dans une cellule du camp, que fait-il d’autre sinon de mettre à profit cette situation de barbarie pour y vivre le summum de l’amour. ? « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé », commenterait st Paul. Mais comment Maximilien Kolbe a-t-il pu faire cela ? Parce que l’exemple, surtout parce que l’Esprit d’amour de Jésus a rayonné sur lui depuis sa croix et sa résurrection.
Jésus, parce qu’il était le Fils bien-aimé de Dieu, était seul capable d’initier une telle substitution de la justice à l’écrasement, de l’amour au mépris. Sur la croix, Jésus était le concentré des méfaits du péché de l‘humanité, mais c’est là qu’il a retourné le mal en bien, à notre avantage à tous. Voilà ce que Dieu a fait en son Fils et voilà pourquoi Paul peut nous dire : Laissez-vous réconcilier avec Dieu.
Sur le lieu même de votre péché le Christ Jésus est venu y substituer l’amour.
Regardez, vous verrez que c’est encore actuel : ce que vous aviez produit de dégâts, autour de vous et en vous, par votre égoïsme, votre convoitise, votre violence, peut devenir / est devenu / le lieu, le tremplin de l’amour, et d‘un amour plus grand que votre péché, dès que vous avez laissé le Christ Jésus vous saisir et vous retourner par son Esprit d’amour. On n’est pas dans une logique de punition et de satisfaction, mais dans une logique de substitution gratuite de l’amour à la méchanceté pour transmuer la méchanceté en amour.
Laissez-vous réconcilier avec Dieu pendant ce carême : mettez à profit toutes vos situations d’échec moral et spirituel, toutes les formes de déchéance personnelles et communautaires, pour que s’y greffe la puissance sanctifiante du Christ. Laissez votre péché devenir le lieu de la justice de Dieu, pas par la punition mais par l’oblation : par l’oblation de vos plaies à celui qui les transformera en capacité d’aimer davantage.
Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ. Nous, pécheurs conscients d’être ainsi transformés par la grâce et l‘amour de Dieu, nous devenons les ambassadeurs de cette réconciliation. C’est là notre publicité. C’est devenu notre mission. Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons Il faut que tout le monde sache que désormais, dans le Christ Jésus, nous avons reçu le pouvoir d’aimer, non pas malgré nos péchés, mais sur le lieu même de nos péchés.
Paul BONY